La vaccination en entreprise devrait se démocratiser dans les semaines à venir, selon Claire Le Touzé et Frédérique Potin, avocates du cabinet Simmons & Simmons. L’employeur pourra-t-il obliger les salariés expatriés à se faire vacciner ? Pourra-t-il donner une prime aux salariés ayant reçu leurs deux doses, ou placer dans un bureau à part les non-vaccinés? Le cabinet répond.
La campagne de vaccination s’accélère. Le calendrier de déconfinement publié par le gouvernement laisse entrevoir la perspective d’un retour sur site pour les nombreux télétravailleurs. Et à nouveau, les questions des employeurs fusent. Mardi 4 mai, le cabinet d’avocats d’affaires Simmons & Simmons organisait un webinaire sur la vaccination en entreprise pour répondre à ces questions.
Autorisée depuis fin février, la vaccination en entreprise rencontre toujours un succès mitigé, selon Claire Le Touzé, Avocate of Counsel spécialisée en Droit social (1). « Les médecins du travail ont difficilement accès à des doses du vaccin, et n’ont pas forcément les moyens matériels nécessaires en terme de conservation. Il y a aussi un manque de candidats. Certains salariés ont peur que la confidentialité ne soit pas respectée sur leur lieu de travail, d’autres ne souhaitent pas du vaccin Astra Zeneka – le seul actuellement proposé par les services de santé au travail. Ces salariés préfèrent se tourner vers des centres de vaccination ou leur médecin traitant ».
Mais la vaccination en entreprise devrait être simplifiée dans les semaines à venir. « Les médecins du travail auront accès à d’autres vaccins comme le Moderna ou le Janssen, poursuit l’avocate. Les médecins seront probablement davantage mis en avant dans la stratégie vaccinale. »
Demain, la possibilité d’une vaccination obligatoire des salariés
L’employeur n’est pas autorisé à traiter les données de vaccination de ses salariés, qui sont des données de santé dites « sensibles » au titre du règlement européen de protection des données (RGPD). Seule la médecine du travail peut traiter les données de vaccination. « Les médecins du travail ont deux devoirs-clefs en matière de données personnelles : la traçabilité des données de vaccination et la confidentialité des vaccinations vis a vis de l’employeur, indique Frédérique Potin, Avocate of Counsel spécialisée en Droit de la propriété intellectuelle. Les médecins doivent mettre en place un système de codification des rendez-vous pour s’assurer que l’employeur ne puisse pas savoir si un rendez-vous a été pris pour une vaccination ou pour un autre motif. »
La Cnil (commission nationale informatique et libertés) mentionne des exceptions à l’interdiction de traiter des données de santé dans le contexte du travail. Elles concernent la nécessité de traiter les données dans l’objectif de satisfaire des obligations en matière de droit du travail. « Pour l’instant il n’existe pas d’hypothèse où l’employeur pourra légalement avoir accès aux données de vaccination, souligne Frédérique Potin. Aujourd’hui, aucun pays n’a rendu la vaccination obligatoire pour entrer sur son territoire ». « Même si le salarié doit partir en Inde, on ne peut pas l’obliger à se faire vacciner, renchérit maître Le Touzé. L’employeur peut seulement l’informer de la possibilité de se faire vacciner, et le lui conseiller en raison de la situation sanitaire dans le pays de destination ».
Mais si demain, certains pays rendent la vaccination obligatoire, le salarié dont les missions le conduisent à se rendre dans ce pays devra se faire vacciner. « L’employeur pourra alors imposer au salarié de justifier de sa vaccination avant de le laisser partir en mission, indique Frédérique Potin. De la même façon, l’employeur pourra sans doute demain conditionner un départ en expatriation à une vaccination Covid préalable obligatoire ». Plusieurs pays tels que la Thailande, la Grèce ou les Seychelles ont annoncé envisager de rendre le vaccin obligatoire pour entrer sur leur territoire, indiquent les avocates.
Pas de prime à la vaccination
L’impossibilité pour l’employeur de collecter les données de vaccination lui interdit d’en faire une condition de retour sur site. « L’employeur ne peut pas non plus choisir de placer les salariés non-vaccinés dans un bureau à part, ou bien favoriser les salariés vaccinés – par exemple en leur octroyant une prime, comme cela a été observé aux Etats Unis », souligne Claire Le Touzé. Pas de pass vaccinal en entreprise donc, sauf à ce que le gouvernement décide de rendre la vaccination obligatoire. « De leur côté, les salariés ne pourront pas non plus refuser de venir travailler sur site au motif que leurs collègues ne sont pas vaccinés » poursuit l’avocate.
Pour anticiper le retour des salariés sur leur lieu de travail, les options des employeurs sont donc limitées. « Ils n’auront d’autre choix, en l’état actuel des textes, que de continuer à assurer la mise en oeuvre des gestes barrières au sein des locaux, résume Claire Le Touzé. Les gestes de prévention resteront légion au moins jusqu’à l’atteinte, au niveau national, d’un taux de vaccination suffisamment important ».
(1) Voir aussi notre article sur le manque de vaccins dans les services de santé au travail.
Source : Actuel-CE