Il éloigne salariés et élus, complique le militantisme et force les CSE aux réunions à distance. Le télétravail est pourtant devenu la norme depuis le Covid-19. Une étude de l’Ires pour la CFDT montre que les usages numériques peuvent appuyer le travail syndical, sans pour autant en résoudre tous les enjeux. Une situation qui oblige des représentants du personnel à s’adapter dans un contexte déjà difficile.

« Le télétravail, parce qu’il modifie les façons d’organiser le travail sur les lieux de travail, à l’échelle des établissements comme des collectifs de travailleurs et travailleuses, conduit à de nombreux bouleversements », indique l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) en introduction de son étude réalisée pour la CFDT (en libre accès sur le site de l’Ires, synthèse en pièce jointe). Comme l’indique son titre, « Télétravail, organisation et pratiques syndicales dans les services : une mise à l’épreuve des collectifs au travail ? », le travail à distance, désormais très répandu dans les entreprises depuis le Covid-19, a transformé les modes d’action des mandatés syndicaux.

De manière générale, l’étude de l’Ires constate que les syndicats qui utilisaient déjà les moyens de communication numériques avant l’épidémie ont depuis renforcé leurs outils et parviennent à entretenir a minima leurs relations avec les salariés. Le télétravail soulève aussi la question des réunions des syndicats et des CSE à distance et les oblige à s’adapter sans être totalement satisfaits. Pour enquêter sur ces sujets, l’Ires a réalisé trois monographies d’entreprises à partir d’entretiens avec les élus de CSE et les militants syndicaux.

Communication syndicale en télétravail : le numérique devenu indispensable

L’expansion du télétravail a mécaniquement distendu les relations entre les salariés et leurs représentants. Combiné au « flex office » (l’absence d’attribution de place fixe aux salariés dans les « open spaces »), il est devenu très compliqué pour les élus non seulement de rencontrer physiquement les salariés mais aussi de tout simplement savoir où ils peuvent se trouver dans les locaux de l’entreprise. L’Ires constate que l’accord signé avec l’employeur détermine l’aptitude des représentants à communiquer avec les salariés.

Chez Couvrance (secteur des assurances), l’accord syndical permet aux organisations d’envoyer « de façon illimitée des communications à l’ensemble des salariés sur leurs adresses électroniques ». A contrario, les anciennes méthodes périclitent : les militants ont abandonné l’usage du panneau. Ils utilisent en revanche un espace dédié sur l’intranet de l’entreprise, dans lequel ils publient des tracts numériques. La section de l’Unsa a également ouvert une chaîne YouTube et une boucle WhatsApp, poussant ses communications jusque dans les téléphones des adhérents et sympathisants.

Dans l’entreprise AssistPlus (secteur de l’assistance), de 2020 à 2022, les syndicats ont pu transmettre des tracts numériques aux salariés mais en passant par le services des ressources humaines qui se chargeait de diffuser les informations via une adresse mail générique. Cet arrangement certes peu orthodoxe a été finalement supprimé par la direction sans faire l’objet d’un accord en fin de crise sanitaire. La CFDT est donc revenue à la traditionnelle distribution de tracts papiers, sans en être totalement satisfaite : « Avant, on avait l’immeuble à nous. Ici, on le partage avec une autre filiale du groupe. Quand l’autre filiale tracte en bas, ils donnent aussi bien à des salariés AssistPlus que de leur entreprise sans distinction », regrette un mandaté CFDT.

Les élus de la société Horizon (assurance) rencontrent les mêmes difficultés de mélange des salariés de plusieurs entreprises sur un même site. Selon l’Ires, « la section CFDT a mis plus de temps à ajuster les moyens de communiquer avec les salariés mais aussi de ses adhérents par rapport à la CFE-CGC ou même à l’Unsa », cette dernière recourant à des tracts avec QR code que les salariés ne scannent que s’ils sont concernés. Le télétravail contraint aussi les élus eux-mêmes dans la conduite des instances, notamment pour les réunions du CSE.

Les réunions de CSE hybrides loin de faire l’unanimité

Les militants de la société Horizon déplorent également les réunions des instances au format Teams (*) : « Le débat (…) peut être beaucoup plus pauvre (…). Il y a des gens qui parlent beaucoup, font des monologues », ces pratiques conduisant à « une inefficacité du dialogue social ». La CFDT et la CFE-CGC ont indiqué à l’Ires leur préférence les réunions sur site. « ce n’est pas plus mal d’être en présentiel (…) notamment dans le cadre du CSE. Sur Teams, quand vous êtes plusieurs, pour intervenir et que ce ne soit pas le brouhaha… ». Le représentant Unsa considère également que « quand on est en discussion, en négociation, (…) la présence physique a un impact plus important ».

Dans la société AssistPlus, il existe une forte disparité de pratique entre une partie des représentants ayant adopté le format hybride et les délégués syndicaux centraux qui se retrouvent « quasiment en permanence » en présentiel. Le représentant CFDT estime cependant « dommage que les réunions se déroulent à distance, même si cela permet à plus d’interlocuteurs d’y participer : « On doit s’autodiscipliner lorsque c’est du distanciel avec les mains levées (…) et quand c’est en mode hybride, c’est encore plus chiant parce que qui est prioritaire ? », pointe un élu CFDT qui ajoute « avoir l’impression qu’on arrive mieux à se comprendre quand on est là ».

Selon l’Ires, la réunion physique des individus n’empêche cependant pas la dispersion des élus, la préférence pour le format présentiel dépendant aussi du nombre de participants. Une élue CFDT témoigne par exemple de certaines formes d’ennui lié à des réunions trop longues où sont abordés des sujets qui ne la concernent pas : « Je pense que le présentiel c’est ce qu’il y a de mieux même si (…) il y a des réunions de CSE avec des points où je ne suis pas concernée. Pendant ce temps-là je peux trier mes mails. (…) Avant, par politesse, on ne sortait pas les ordis mais maintenant je crois que plus personne n’écoute, tout le monde fait autre chose ».

Développement syndical : comment s’adapter ?

Sans surprise, le télétravail complique la conquête de nouveaux adhérents en entreprise. Certains syndicalistes parviennent cependant à s’adapter comme la section CFDT d’AssistPlus qui a utilisé le moment de la fête de l’entreprise pour profiter de la présence des salariés. Dans l’entreprise Horizon, les délégués syndicaux ont tiré parti d’un séminaire pour démarcher de nouvelles recrues. Ils utilisent également le logiciel Teams à cette fin, même s’ils reconnaissent qu’il est difficile de « trouver une approche », notamment parce qu’ils ignorent si le salarié est disponible ou pas. Ils doivent donc varier leurs « techniques de contact en favorisant les accroches individuelles », ce qui peut être dénoncé par d’autres syndicats considérant que cela ne rentre pas dans les règles de campagne électorale. Par exemple, l’Unsa aurait développé de 20 % sa section grâce aux outils numériques, ce que les élus FO dénoncent comme « un syndicalisme de boutiquier ».

La CFDT récupère des éléments de tracts qu’elle envoie au format numérique aux salariés en commençant par une phrase personnelle comme le montre cet extrait publié dans l’étude : « On reprend les éléments du tract, [par exemple] : bonjour, est-ce que tu vas bien ? On voulait te faire remonter notre dernière communication. On donne les éléments essentiels et un lien vers le tract. L’idée c’est d’individualiser un peu le contact pour avoir une chance que notre communication soit lue ».

On le voit, selon son utilisation, le numérique peut venir en soutien des élu pour « garder le fil » avec les salariés sans toutefois remplacer les avantages de la proximité, ou au contraire ajouter à leur lassitude.

(*) Teams : plateforme collaborative de Microsoft permettant une communication par visioconférence, mais aussi le stockage et le transfert de fichiers.

 

 En 20 ans, trois générations d’accords de télétravail

L’enquête de l’Ires distingue plusieurs générations d’accords et de chartes encadrant le télétravail dans les secteurs de l’assurance et de l’assistance.

La première génération de textes des années 2010 fixent les premières règles visant à réguler les organisations en télétravail, alors que la pratique restait auparavant circonscrite à des négociations individuelles, notamment pour des cadres connaissant des problèmes de santé. Ce sont alors les salariés qui en font la demande, relayés ensuite par les organisations syndicales, sans que pour autant le télétravail n’apparaisse pour elles comme un enjeu.

La pandémie de 2020 et 2021 marque la seconde génération d’accords, le gouvernement incitant très fortement au télétravail pour des raisons sanitaires. Il en devient presque obligatoire, l’inspection du travail demande avec insistance sa mise en œuvre. « L’enjeu est alors de cadrer le télétravail dans une situation incertaine sur l’issue de la crise sanitaire ».

La troisième génération correspond à la période postpandémique 2022-2023. Les accords cherchent à stabiliser les usages et le format du télétravail. Les négociations se trouvent davantage ouvertes par les directions. L’Ires observe aussi des tentatives de « retour en arrière en matière de nombre de jours de télétravail » de la part des dirigeants d’entreprises.

 

Marie-Aude Grimont

Source – Actuel CSE