En dépit de l’individualisation du droit à la formation professionnelle, et notamment la sortie cet automne de l’application CPF, le CE/CSE doit continuer en 2019 d’aiguiller les salariés. Valérie Leprêtre et Stéphanie Tingaud, consultantes au sein du cabinet Sextant expertise, encouragent également les délégués syndicaux à négocier « une formation professionnelle moderne, mais pas minimaliste ».
Face aux réformes successives et à l’individualisation croissante des droits des salariés, le rôle des élus du personnel en matière de formation professionnelle n’a plus rien d’évident. Identifier vos marges de manoeuvres en la matière et les nouvelles opportunités de négociation en 2019, tel était justement l’objet d’une conférence organisée par le cabinet Sextant, expert auprès des IRP, le jeudi 14 février à Paris.Le salarié, seul devant son devoir d’adaptation au marché du travailLa loi pour « la liberté de choisir son avenir professionnel » du 5 septembre 2018 accentue le mouvement de responsabilisation individuelle du salarié face à son employabilité : « Cette énième réforme de la formation professionnelle poursuit un processus de dérégulation qui fait écho à une étude Dell de 2017, selon laquelle 85% des métiers de 2030 n’existent pas encore aujourd’hui, expose Valérie Leprêtre. Ce chiffre ne correspondra peut-être pas exactement à la réalité, mais il est certain qu’à l’horizon de dix ans de nombreux métiers vont apparaître, et d’autres évoluer voire disparaître ». L’autre nouveauté, c’est la progression de l’intelligence artificielle : « On invente des machines capables de traiter un nombre phénoménal de données et de trouver des solutions, autrement dit de nous surpasser. Même les salariés les plus diplômés sont donc maintenant concernés par l’évolution des compétences, alerte la consultante. En tant qu’humain, cela nous invite à nous concentrer sur nos points forts : l’esprit d’initiative, l’agilité, la flexibilité, la créativité, la mobilité, savoir gérer son temps, être ouvert aux mutations. Il faut aussi se faire à l’idée d’apprendre en permanence et de changer de métier, d’employeur, de pays, d’interlocuteurs. Le marché du travail veut des individus capables de mobiliser les ressources de leur environnement pour développer leurs propres compétences ».La formation professionnelle évolue, avec des avantages et des risques
Les nouvelles technologies ont aussi modifié nos comportements : « Il est beaucoup plus difficile de canaliser son attention et la formation professionnelle s’adapte à cette réalité, constate Valérie Leprêtre. La tendance est au rapid learning ou encore au micro learning, c’est-à-dire des sessions de formation de 5 à 20 minutes. Le mix learning, qui mélange le présentiel et l’enseignement à distance est aussi une tendance très forte ». La formation digitale, qui accentue l’individualisation et la flexibilité, a ses avantages (notamment la réduction des coûts), mais aussi ses inconvénients : « Elle est peu appréciée des seniors, n’encourage pas le partage spontané d’expériences et risque d’envahir le temps personnel », prévient la consultante. L’autre tendance, c’est d’encourager le salarié à apprendre de tout et de tous : « Peut-être vous a-t-on d’ailleurs demandé dans votre entreprise de développer des tutoriels pour vos collègues ».
S’agissant des formations en situation de travail (FEST), décidées dans le cadre du plan de formation de l’entreprise, la consultante Stéphanie Tingaud signale de possibles dérives : « Même si vous êtes à votre poste de travail, c’est une formation. Vous avez donc le droit à l’erreur, comme dans le cadre d’une formation classique. Si on se trouve en situation de production avec une contrainte de résultat, ce n’est plus de la formation ».Conseiller le salarié dans son seul intérêt
Dans ce contexte, où le salarié doit penser la formation comme un outil de gestion de carrière, quel peut être le rôle des membres du CE ou du comité social et économique ? « Avec l’application CPF (compte personnel de formation) à venir cet automne, l’entreprise n’a plus de rôle officiel à jouer. Le salarié sera seul face à son droit à la formation. Le rôle des élus, ce sera alors d’abord du conseil et de l’accompagnement », assure Stéphanie Tingaud. En d’autres termes, aider le salarié à faire les choix de formation positifs pour faire sa carrière, y compris dans une voie qui l’amènerait à quitter l’entreprise. « Et pour l’élaboration du plan de formation, il faudra continuer de faire le lien avec les orientations stratégiques de l’entreprise et la GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) », complète la consultante.Négocier « une formation professionnelle moderne, mais pas minimaliste »
Les délégués syndicaux peuvent aussi négocier à la hausse le droit individuel à la formation : « Le salarié est autonome dans ses choix de formation, mais avec des moyens limités, relativise Valérie Leprêtre. L’abondement légal de 500 euros par an au CPF, éventuellement majoré à 800 euros pour les salariés les moins qualifiés, ressemble plutôt à une base de financement qu’il va falloir compléter ». Sextant expertise dresse alors la liste des points de négociation prévus par la loi :
- la périodicité de l’entretien professionnel. « Le délai par défaut, fixé à deux ans, peut être ramené à un an si l’activité bouge beaucoup. On peut aussi exiger au moins une action de formation tous les deux ou trois ans plutôt que tous les six ans » ;
- l’alimentation du CPF. « On peut négocier le budget de base, ou définir les formations qui donneront lieu à abondement de l’employeur » ;
- le sort des actions de formation, prévues pour tout ou partie, hors temps de travail. « Il peut être négocié des contreparties compensant les charges induites par la garde d’enfant pour des salariés qui suivent la formation hors temps de travail. Mais il peut aussi être négocié un dédommagement pour tout le monde, par exemple le maintien de 50% du salaire net comme ce qui existait avant la réforme ».
Outre ces cas légaux de négociation, le cabinet d’expertise recommande de négocier :
- la définition de l’action de formation, pour bien distinguer le dispositif réellement formatif et les formations « sur le tas » ;
- la mise en place d’indicateurs de suivi de la formation professionnel, non équivoques, stables dans le temps suffisamment précis ;
- le lien direct entre le plan de développement de compétences et les axes définis par les orientations stratégiques et la GPEC.
« Tout l’enjeu, c’est de mettre en place une formation professionnelle moderne, mais pas minimaliste », conclut Valérie Leprêtre.
Source – Actuel CE