« La question du travail hybride ne fait que renforcer la complexité des risques psychosociaux ». Voilà le message qu’a souhaité faire passer Brigitte Vaudolon, psychologue clinicienne, lors d’une conférence organisée par Préventica avec la Firps (fédération des intervenants en risques psychosociaux) le 1er décembre 2021. Elle espère qu’il sera entendu, tant l’engouement pour le télétravail ou le flex office est fort au sein des entreprises. Sans être toujours bien rodé : « Tous les flex ne sont pas intelligents. Certains salariés, à qui on demande de revenir pour maintenir le lien, disent ne pas réussir à croiser leurs collègues », rapporte François Cochet. Le président de la Firps s’inquiète aussi pour la réversibilité du télétravail – prévue par la plupart des accords, car « si on a supprimé la moitié des bureaux, la réversibilité n’est pas effective, dans les faits ».
Les entreprises ne doivent pas seulement penser aux modalités d’application de ces nouvelles formes de travail : pour elles, la santé mentale des salariés doit rester une préoccupation majeure.
« Il y a 15 ans, on avait des interlocuteurs qui considéraient que ce qui relevait de la sphère personnelle – donc, parfois, la santé mentale – n’était pas leur problème », se souvient Isabelle Tarty, docteure en sociologie du travail. Les choses ont changé : avec le temps, médecins du travail et responsables des ressources humaines ont compris qu’il fallait regarder ce qu’il se passe de façon plus globale, pas seulement à l’échelle individuelle.
La loi pour renforcer la prévention en santé au travail, qui prévoit de décloisonner la médecine du travail et la médecine de ville, pourrait gâcher ce bon élan. Le risque, pour Isabelle Tarty ? Que les entreprises renvoient dans le secteur public des problématiques d’ordre professionnel, et se désengagent de la santé mentale.
Avec le télétravail, la sphère privée est imbriquée avec la sphère professionnelle. Or, « quand quelqu’un fait un burn out, il faut qu’il y ait un angle d’approche spécialisé dans l’accompagnement du travail », développe-t-elle. Certains employeurs pourraient se dire que la prise en charge, par l’État, de consultations de psychothérapie les dispense de se doter de dispositifs d’accompagnement psychologique. Ce serait une erreur, analyse Isabelle Tarty : « Les entreprises ne doivent pas s’imaginer que les solutions vont reposer sur le secteur public ».
Emmanuel Charlot, directeur général du cabinet Stimulus, est plus confiant. Il se dit que « la santé mentale est une approche complémentaire de la marque employeur ». Les entreprises auraient compris qu’elles avaient intérêt à faire de la prévention pour attirer les nouveaux collaborateurs.
Détecter à distance
Nouveaux collaborateurs qui, pour certains, vont devoir démarrer dans une entreprise en télétravail. Pour eux, « tous les risques sont amplifiés », avertit Brigitte Vaudolon, psychologue clinicienne : il y a l’enjeu de l’engagement, celui de la culture d’entreprise, celui de l’apprentissage du métier – plus difficile lorsque l’observation est impossible, celui de l’isolement. Et il y a, surtout, « une difficulté accrue pour détecter à distance des signaux de mal-être chez quelqu’un que l’on ne connaît pas ».
L’arrivée d’un nouveau salarié doit être préparée en amont. Brigitte Vaudolon recommande ensuite de « ritualiser le premier jour », pour que la personne qui arrive « sente que ça a été pensé pour elle ». Tout ne doit pas nécessairement reposer sur le manager : un parrainage peut être proposé, de même que la mise en place de binômes ou de référents métiers. L’idée, finalement, est d’impliquer différents collègues dans la boucle. Et d’assurer une phase de suivi, car « il est encore plus important de faire un retour d’expérience, d’écouter ce que les nouveaux ont apprécié, et moins apprécié. De savoir ce que l’on peut améliorer ».
Car si les avantages du télétravail sont connus, les risques le sont moins. On les découvre encore, mais déjà, Brigitte Vaudolon, psychologue clinicienne, évoque celui de la sédentarité, plus important encore qu’au bureau. Il y a aussi celui de l’isolement, de l’hyperconnexion, des pratiques addictives.
Certains auront même des effets différés, pense François Cochet. Il s’inquiète du décalage qui pourrait naître entre les enjeux changeants de l’entreprise et les collaborateurs éloignés, de l’impact sur l’apprentissage de nouvelles compétences, de l’étiolement des liens sociaux.
« On sait que le salarié en télétravail relève de la responsabilité de son employeur : c’est à lui de s’assurer qu’il a de bonnes conditions de travail », souligne Isabelle Tarty. À intégrer au document unique d’évaluation des risques, donc ? « Le télétravail, ça fait partie du travail. Ses effets et risques vont devoir figurer dans le document unique », en déduit Emmanuel Charlot.