Daphnée Breton, psychologue du travail au sein du cabinet Progexa, insiste sur la nécessité d’accorder au salarié des temps d’écoute individuels mais aussi collectifs : « L’équipe doit avoir les moyens de reparler de comment les choses se sont passées, même si certains ont arrêté le travail et ont été placés en activité partielle. Car même pour ces salariés, il est important qu’ils puissent raconter leur vécu, ce qui s’est bien et mal passé pour eux pendant cette période. Cette crise a révélé des choses et si les salariés ne peuvent pas les exprimer, l’entreprise risque de passer à côté de ces révélations. Sans compter que le salarié qui n’est pas écouté en tirera du ressentiment et une perte d’engagement. Si l’entreprise ne permet pas ce type d’expression et nie la crise, les salariés risquent de décompenser et s’effondrer physiquement et psychologiquement ». Les managers seront donc en première ligne pour gérer le retour au travail.
Dans une interview publiée dans le magazine Psychologies, Adrien Chignard, psychologue du travail, distingue 3 réactions possibles des managers au moment du retour des salariés au travail : ceux qui appellent à une surperformance pour rattraper le retard productif lié au confinement, ceux qui accueillent les salariés comme si la crise n’avait pas eu lieu, et ceux qui tentent de comprendre collectivement avec leur équipe ce qui s’est passé pendant la crise. Pour Adrien Chignard, la première première attitude des managers génère de la violence envers les salariés, et la seconde indique une stratégie d’évitement. La troisième en revanche, est l’attitude vertueuse.
Daphnée Breton nous confie qu’elle a également lu cette interview. « Mais attention car cette vision individualisée des choses ne tient pas compte des moyens et contraintes organisationnelles du manager qui peut se voir contraint d’adopter l’une de ces réactions sans le vouloir. Il faut réinterroger les moyens du manager et ne pas tout faire reposer sur ses épaules. Pour recréer du collectif, il faut faire en sorte qu’il existe une organisation équitable pour chacun », réagit la psychologue de Progexa. Elle partage en revanche la vision d’Adrien Chignard sur le discours de performance. Les spécialistes de la psychologie décrivant la crise comme créant un stress post-traumatique, la vision performatrice était déjà source de risque en temps normal, elle risque de créer encore plus de dégâts aujourd’hui. La psychologue ajoute que les managers doivent être dotés de moyens pour recréer du collectif dans leurs équipes qui constituent une ressource essentielle du travail. Le rôle des élus du personnel sera d’y veiller.
L’une des premières choses à faire pour aider le collectif de travail à se resouder est de veiller au respect des consignes de prévention par ceux qui reviennent dans les locaux de l’entreprise. Pour Daphnée Breton, le rôle des élus du personnel est ici primordial : « Les élus doivent vérifier que les risques professionnels (en particulier le risque biologique) ont bien fait l’objet d’une réévaluation. De plus, le télétravail a souvent été déployé à la hâte, sans cadre ni préparation, avec des conséquences parfois pesantes pour les salariés. Les élus doivent donc s’assurer que les risques psychosociaux sont bien gérés, évalués et prévenus. En lien avec le terrain, il peuvent ainsi faire remonter les informations auprès de la direction ».
La psychologue de Progexa relève également que la santé des élus du personnel n’est pas suffisamment prise en compte : « Ils sont très sollicités et donc eux aussi exposés non seulement aux risques psychosociaux mais aussi aux risques de contamination au Covid-19. Or, ce sont des salariés comme les autres ». Encore une fois, elle considère qu’il faut remettre en question les moyens des instances de représentation du personnel, notamment leur liberté de circulation et leurs heures de délégation : « Les moyens des élus du personnel ont été revus à la baisse depuis la loi El Khomry et les ordonnances Macron de 2017. Mais on voit aujourd’hui que tout l’enjeu se trouve dans les moyens qu’on leur donne de protéger les salariés ».
Mais comment peut réagir un élu qui circule dans l’entreprise et assiste à des scènes entre salariés qui peuvent sembler contraires à l’esprit collectif, comme un refus de se serrer la main, ou une protection du visage en face de quelqu’un qui tousse ? « Ce n’est pas à l’élu du personnel de dire ce qu’il faut faire et ne pas faire », répond Daphnée Breton. « La direction doit diffuser une information collective sur les consignes de sécurité, s’assurer de leur compréhension et de leur application. Toutes les équipes et tous les sites doivent recevoir la même information. Les élus du personnel ne sont pas des policiers, et la direction ne doit pas les mettre dans cette position ». Elle rejoint sur ce point Éric Goata, du cabinet Éléas, qui appelle les entreprises à créer « un nouveau code collectif civique, ou code de conduite, qui indique aux salariés comment se saluer, comment communiquer avec un masque, comment partager des objets mais aussi des territoires communs comme les vestiaires, les toilettes ou les couloirs. C’est cette nouvelle culture commune qui permet de traiter cette situation inédite, de créer de l’équité collective et de ramener de la cohésion sociale au travail ».
Source – Actuel CSE