Les élus du personnel interrogés sur le passage au comité social et économique (CSE) redoutent un affaiblissement de leurs moyens, selon une enquête de l’Ifop pour Syndex, un affaiblissement d’ailleurs constaté par un quart des élus déjà passés à l’instance unique. « Mais il reste les trois quarts du match à jouer pour rééquilibrer ce bilan », commente Olivier Laviolette, du cabinet d’expertise.
Que disent les élus du personnel quand on les interroge sur la mise en place du comité social et économique (CSE) dans leur entreprise ? Les résultats de l’enquête Ifop pour le cabinet d’expertise Syndex paraissent sans surprise (*). Les représentants du personnel répondent d’abord, à 68%, que les salariés n’ont pas connaissance de la fusion des instances représentatives en préparation ou déjà réalisée, que le dialogue social dans leur entreprise est insatisfaisant (pour 55% d’entre eux) et qu’ils s’inquiètent (pour 75%) de ce passage à l’instance unique en lieu et place des CE, CHSCT et DP.
En effet, 72% jugent leur direction « opportuniste » vis-à-vis de cette perspective. Et si 36% des élus attendent une « nouvelle dynamique » de ce changement, 41% d’entre-eux redoutent un affaiblissement de leur poids face à la direction et une diminution de leurs moyens, 60% pensant que ce changement va détériorer le dialogue social dans leur entreprise. « Les élus se sentent isolés dans la mise en place du CSE qui n’intéresse pas les salariés », résume Jérôme Fourquet, de l’Ifop.2 comités d’établissements de moins par entreprise après le passage en CSE
Dans le cas des CSE déjà effectifs (cela concerne un quart des élus interrogés, soit environ 150 cas sur 1 150), le changement s’est fait après une négociation (81%). Un chiffre élevé, d’autant que 62% des élus estimant avoir été bien préparés à cet enjeu, bien que 34% et 33% jugent avoir manqué de temps et de connaissances techniques et juridiques.
L’on peut cependant s’interroger sur le caractère réel et le résultat de ces négociations dans la mesure où 50% des élus jugent leur direction peu ouverte au dialogue d’une part, et, d’autre part, que ce passage a entraîné une diminution du nombre de comité d’établissements (5,9 CSE d’établissements en moyenne par entreprise après le passage au CSE contre 8 CE d’établissements auparavant), un point décisif quant au maintien d’une relation de proximité entre élus et salariés. Les salariés n’en sont pas conscients mais à terme, ce sont eux les perdants
Une secrétaire de CSE de la filiale centre d’appel de Bosch France présente lors de la restitution de l’enquête, hier à Paris, a livré cette anecdote significative : « Les négociations ont été houleuses, raconte Sandra Wiesen. Lors d’une séance pour laquelle nous venions de toute la France, devant l’absence de dialogue avec la direction, nous avons tous décidé de quitter la salle au bout d’un quart d’heure afin d’obtenir une vraie négociation. Nous avons fini par trouver un accord mais nous avons moins de moyens, avec notamment une réunion tous les deux mois. Les salariés n’en sont pas encore conscients mais à terme, ce sont eux les perdants ». Une analyse partagée par Sébastien Dusch, DSC CFE-CGC chez Bosch mais aussi élu d’un CSE d’établissement : « Je suis ingénieur avant d’être DS et je ne suis pas un professionnel du dialogue social pour tout traiter depuis les orientations stratégiques jusqu’aux conditions de travail. Le problème, c’est que chaque élu doit faire plus avec moins ».Avant, après : une comparaison éloquente
Interrogés sur l’avant et l’après CSE, les élus ayant expérimenté l’instance unique posent un diagnostic sans appel, si l’on en croit le schéma suivant :
Ceux des élus qui ne sont pas encore passés en CSE appréhendent d’abord une faible ouverture de leur direction à la négociation de la future instance (64%), le temps que nécessitera cette négociation (48%) et leur manque d’expertise technique et juridique sur la question (34%).
Globalement, les élus, pour prévenir un affaiblissement du dialogue social suite au passage au CSE dans leur entreprise, se donnent pour priorité de négociation le nombre d’heures de délégation (pour 46%), la présence des suppléants aux réunions (45%) et l’organisation ainsi que les moyens de consultation du CSE pour 40%. Au final, 78% des élus estiment que les directions seront les grandes gagnantes de cette réforme, 44% des élus jugeant que les syndicats y perdront.
Questionnés sur les sujets qui devront être prioritaires dans la nouvelle instance, les élus répondent en mettant en avant les conditions de travail, comme on le voit ci-dessous :
Les conseils des experts
Sur le fond, les experts de Syndex ne sont pas étonnés par ce bilan assez sombre. « Nous intervenons auprès de 1 500 instances et cela correspond à ce que nous observons », commente Olivier Laviolette, membre du comité de direction du cabinet. Ce dernier met d’ailleurs en garde les élus contre une stratégie de négociation possible des employeurs qui semblent parfois prêts à quelques concessions sur les moyens, sujet qui focalise l’attention des négociateurs côté salariés, pour mieux obtenir un raccourcissement des délais de consultation et la centralisation de l’information-consultation. « Cela peut entraîner un très grand formalisme du dialogue social », alerte Olivier Laviolette. Pour ce dernier, nous sommes loin des objectifs affichés par les ordonnances (favoriser l’exercice des responsabilités syndicales et la négociation en sortant du formalisme).Il reste trois-quarts du match à jouer
« Par exemple, la perte des délégués du personnel, qui sont fusionnés dans l’instance unique, risque d’occasionner beaucoup moins de proximité avec les salariés, et les représentants de proximité parfois présents dans les accords n’y suppléent pas complètement », dit l’expert de Syndex.
Ce dernier veut cependant garder espoir : « Un quart des élus interrogés sont passés en CSE. Cela signifie qu’il nous reste les trois quarts du match à jouer en 2019 et sans doute en 2020 car toutes les entreprises n’auront pas basculé sur l’instance unique avant la fin de l’année. Nous espérons que la première évaluation des ordonnances et cette enquête pèseront pour la suite ». Délégué syndical CFDT chez Solvay, Nicolas Lyons a tenté de relativiser ce bilan peu réjouissant en soulignant que l’instance unique permet d’aborder tous les sujets avec une vision globale et non compartimentée. Pour autant, a-t-il dit, un an après le passage en CSE, « nous nous cherchons encore, mais la direction aussi. Il faut donc prendre le temps de bien négocier et de prévoir d’ajuster ultérieurement le texte, en fonction des pratiques. Nous l’avons fait pour notre part avec une commission d’interprétation du texte ».La question du périmètre des établissements et du lieu de l’information- consultation est capital
Pour les négociations à venir, les experts de Syndex conseillent donc aux élus de veiller au périmètre des établissements -un point jugé décisif par Catherine Allemand- pour garder une proximité avec les salariés notamment pour les questions de conditions de travail, de prévoir des délais de consultation suffisants en évitant une trop grande centralisation qui priverait les établissements, par exemple, d’informations sur la situation sociale, et d’intégrer une clause de revoyure permettant de faire évoluer l’accord dans le temps. « Après les quatre grandes réformes de ces dernières années (sécurisation de l’emploi, loi Rebsamen, loi Travail, ordonnances), peut-être faudrait-il un peu se poser et faire un bilan de tout cela : ces réformes permettent-elles un meilleur dialogue social et une prise en compte du point de vue des salariés ? », interroge Olivier Laviolette.
(*) L’Ifop a interrogé pour le cabinet d’expertise Syndex, du 16 novembre au 7 décembre 2018, 1 147 représentants du personnel, un questionnaire en ligne doublé par 15 entretiens téléphoniques d’une heure chacun mené avec des 6 élus de sociétés de moins de 300 salariés et 9 élus d’entreprises de plus de 300 salariés, dont 8 de sociétés comportant plusieurs sites (voir la synthèse de l’étude en pièce jointe ci-dessous). Les 1 147 élus relèvent des services (35%), de l’industrie (27%), du commerce (8%), etc. Ils appartiennent à des entreprises de 1 000 salarié et plus (pour 46%) et des PME de 50 à 499 salariés (37%). Précisons que l’enquête n’a pas abordé la question de la gestion des activités sociales et culturelles (voir notre article sur les changements possibles du fait du CSE).
Source – Actuel CE