Si la faute de l’employeur à l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise rendant nécessaire sa réorganisation est susceptible de priver de cause réelle et sérieuse les licenciements prononcés, l’erreur éventuellement commise dans l’appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne caractérise pas à elle seule une telle faute.

Le législateur définit le licenciement pour motif économique comme « le licenciement effectué pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques, à des mutations technologiques, à une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou à la cessation d’activité de l’entreprise » (article L.1233-3 du code du travail).
Ce n’est que si ces conditions sont réunies que le licenciement économique est fondé. Toutefois, cette affirmation doit être nuancée. Il se peut que le motif économique invoqué par l’employeur réponde aux exigences posées par le législateur mais que pour autant le licenciement soit déclaré par le juge comme dépourvu de cause réelle et sérieuse.
En effet, la Cour de cassation reconnaît la possibilité pour le salarié d’invoquer l’existence d’une faute ou d’une légèreté blâmable de l’employeur, allant au-delà de simples erreurs de gestion, à l’origine des difficultés économiques ou à l’origine de la cessation d’activité, de nature à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse (arrêt du 10 juillet 2002 ; arrêt du 16 janvier 2001 ; arrêt du 21 avril 2010 ; arrêt du 24 mai 2018).
Cette solution s’applique-t-elle au motif économique lié à la réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise ? Oui, répond la Cour de cassation dans un arrêt du 4 novembre 2020.

Elle admet, pour la première fois, qu’une faute de l’employeur à l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise rendant nécessaire sa réorganisation est susceptible de priver de cause réelle et sérieuse les licenciements prononcés. Elle rappelle, toutefois, que l’erreur éventuellement commise dans l’appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne caractérise pas à elle seule une telle faute.

Une réorganisation pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise

En 2014, la société Pages Jaunes décide de se réorganiser afin de sauvegarder sa compétitivité. Dans ce cadre, elle propose une modification de leur contrat de travail à plusieurs salariés. Certains refusent et sont licenciés pour motif économique.
Ils saisissent le conseil de prud’hommes pour voir juger leur licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ils soutiennent que la menace qui pèse sur la compétitivité de la société a pour origine des fautes de leur employeur. En effet, la société a été vendue à des fonds d’investissement au moyen d’un rachat par endettement et c’est la société elle-même qui finançait le remboursement de cet emprunt. Selon les salariés, ce remboursement avait asséché les ressources financières de l’entreprise, l’empêchant de faire les investissements stratégiques nécessaires pour assurer sa compétitivité. Selon eux, c’est cette faute de l’employeur qui est l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise et qui a conduit à la réorganisation à l’origine de leur licenciement.
 

Des licenciements indissociables de la faute de l’employeur ne se confondant pas avec une simple erreur de gestion

La cour d’appel  leur donne gain de cause et juge les licenciements sans cause réelle et sérieuse. Après avoir relevé que l’entreprise avait mis à disposition ses liquidités pour le groupe dont elle était filiale à 100 % en  2006 et versé en continu des dividendes jusqu’en 2011, elle en déduit que ces décisions ont empêché la filiale de financer les évolutions nécessaires pour s’adapter à un marché évoluant et de faire les investissements indispensables depuis 2008.
Dès lors, la menace sur la compétitivité au moment de la mise en œuvre de la procédure de licenciement pour motif économique n’est pas dissociable de la faute de l’entreprise caractérisée, selon les juges,  par « des décisions pouvant être qualifiées de préjudiciables comme prises dans le seul intérêt de l’actionnaire, et ne se confondant pas avec une simple erreur de gestion ».
 

La faute caractérisée de l’employeur à l’origine de la réorganisation peut priver les licenciements de cause réelle et sérieuse mais  pas l’erreur de gestion

Analyse partiellement censurée par la Cour de cassation qui rappelle que « si la faute de l’employeur à l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise rendant nécessaire sa réorganisation est de nature à priver de cause réelle et sérieuse les licenciements consécutifs à cette réorganisation, l’erreur éventuellement commise dans l’appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne caractérise pas à elle seule une telle faute ».
En l’espèce, elle relève que la cour d’appel a seulement caractérisé la faute de l’employeur par « des décisions de mise à disposition de liquidités empêchant ou limitant les investissements nécessaires ». Or, pour la Cour de cassation, ces motifs sont insuffisants à caractériser la faute de l’employeur à l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise. Dans ces conditions, la cour d’appel ne pouvait pas conclure à des licenciements sans cause réelle et sérieuse.

Le contrôle de la faute ne doit pas entraîner un contrôle des choix de gestion de l’employeur

La Cour de cassation tient à rappeler, dans sa note explicative jointe à l’arrêt, que quel que soit le motif économique du licenciement et, a fortiori, lorsqu’il réside dans une réorganisation de l’entreprise rendue nécessaire par la sauvegarde de la compétitivité, elle reste vigilante à ce que, sous couvert d’un contrôle de la faute, les juges du fond n’exercent pas un contrôle sur les choix de gestion de l’employeur (arrêt du 14 décembre 2005).

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