Nous avons demandé à Olivier Chabrol, qui coordonne l’expertise de Syndex sur les questions de responsabilité sociétale d’entreprise, sa lecture du décret listant les informations environnementales que doit contenir la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE). Interview.Que pensez-vous de ce décret sur la BDESE (lire notre présentation dans cette même édition) que nous attendions depuis des mois ?
Nous sommes déjà très contents qu’il soit enfin sorti, ce texte. Il était annoncé comme devant être publié avant l’élection présidentielle et nous ne voyions rien venir ! Mais son contenu n’est pas très étonnant, ni très ambitieux, il y a juste de petites avancées. Au final, ce texte correspond assez bien à l’esprit des gouvernements du quinquennat Macron au sujet de l’environnement. Plus précisément, comment analysez-vous ces dispositions ?
Il faut dire déjà que le texte distingue deux niveaux d’information : celles que doivent donner les entreprises déjà soumises à obligation de reporting public de RSE (responsabilité sociale et environnementale) et les autres, d’un niveau moins exigeant. La barre de ce reporting public, dans le code du commerce, est de 500 salariés mais il est question qu’elle soit descendue à 250 salariés dans le texte de la nouvelle directive européenne attendue ce semestre, une directive que la France devrait appliquer dans les deux ans.Ce décret me semble amené à évoluer
Ce décret me semble donc être amené à évoluer dans les années à venir. Donc, pour les entreprises déjà soumises à une obligation de reporting, il me semble que ce décret apporte peu de choses. Le texte demande à l’entreprise de reprendre une partie des informations qui étaient déjà obligatoirement publiques et de les transposer dans la BDESE, donc ce n’est pas vraiment un plus. Pour les entreprises qui n’étaient pas soumises à cette obligation, comme les entreprises de moins de 500 salariés, les SARL et les SAS, là on a une petite avancée. Désormais, ces entreprises doivent faire figurer dans leur BDESE de nouvelles informations qu’il va leur falloir produire. De quelles informations s’agit-il ?
Ce sont les données mentionnées dans la rubrique 10, avec 3 sous-chapitres : la politique générale en matière environnementale, l’économie circulaire, le changement climatique (Ndlr : voir nos tableaux). C’est positif dans la mesure où ces informations n’existaient pas. Mais le contenu décrit ici me paraît peu ambitieux. Par exemple, on ne trouve rien en matière de pollution. Aucune exigence d’informations sur les activités polluantes de l’entreprise n’est formulée. C’est pourtant l’élément principal de nombreuses entreprises dès qu’on parle de leur impact sur l’environnement ! Mais les émissions de gaz à effet de serre sont mentionnées…
Oui, mais les émissions de gaz à effet de serre ne sont qu’un type de pollution à effet diffus qui participe au réchauffement de la planète. Quand on parle de pollution, généralement, on parle de la pollution des sols, de l’eau, et cela en incriminant des produits toxiques. Or beaucoup d’entreprises fabriquent ou utilisent encore de nombreux produits toxiques ayant un effet direct sur les éco-systèmes. Et concernant le changement climatique ?
Le décret propose, c’est une avancée, d’identifier les postes d’émission, et ce dès 50 salariés. Mais là encore, je regrette qu’on ne monte que la première marche : on demande une photo sur les émissions passées, mais rien sur l’avenir. C’est dommage de n’avoir pas saisi l’occasion d’aller plus loin
La deuxième marche, cela aurait été de faire préciser à l’entreprise quels sont ses objectifs à court, moyen et long terme qu’elle entend atteindre avec ses plans d’action. C’est dommage de n’avoir pas saisi l’occasion d’ouvrir le dialogue social sur les plans d’action des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique. J’observe un autre manquement, c’est la biodiversité. Toujours pour les entreprises non soumises à reporting, on ne leur demande rien sur ce sujet. Il est aujourd’hui avéré que la biodiversité est un sujet au moins aussi important que le changement climatique et sur lequel les entreprises ont des impacts. Un auter point décevant touche à l’économie circulaire. Cet élément est pourtant présent dans la BDESE…
En effet, le texte fait bien référence aux déchets, mais il ne dit rien sur l’écoconception, rien non plus sur le recyclage des produits. Sauf à considérer que l’expression « prévention et gestion des déchets » est une invitation à parler d’écoconception et de recyclage, mais c’est loin d’être explicite. Or l’économie circulaire, cela ne consiste pas seulement à compter les déchets, mais bien à voir ce qu’on peut organiser pour les éviter ! L’eau est citée ici, mais cela me paraît curieux, l’eau n’est pas un problème dans l’économie circulaire.Le décret aurait donc pu être meilleur selon vous…
Disons, pour résumer, qu’il y a bien une avancée pour les entreprises qui n’étaient pas soumises à un reporting environnemental, car elles vont devoir mettre à disposition des élus du personnel un certain nombre d’informations sur leur politique environnementale. Je considère d’ailleurs que l’item « politique générale en matière environnementale » est le point d’innovation principal.Les indicateurs obligatoires sont un peu faibles mais c’est un début
Il doit y avoir sur ce sujet une expression organisée de l’entreprise et donc un dialogue social. Mais les indicateurs obligatoires proposés sont un peu faibles. Les experts que nous sommes sont donc un peu déçus. Cela étant, c’est quand même a première fois qu’un texte de dialogue social évoque explicitement l’environnement, c’est un premier support pour tenter de mettre en pratique les prérogatives apportées par la loi climat d’août 2021. Il était temps car je n’ai envore jamais vu d’entreprise qui ait déjà documenté sa BDESE sur les questions environnementales. L’absence de données dans la BDESE pourra être vue comme un délit d’entrave
Maintenant, avec ce décret, elles vont devoir le faire. Il va y avoir de la matière à discussion et s’il n’y en a toujours pas, cela pourrait être jugé comme une entrave au dialogue social, et peut-être verrons-nous arriver de la jurisprudence sur ces questions. Cela ne peut qu’inciter les entreprises à entrer dans la discussions sur ces sujets. Que conseillez-vous aux élus ? Comment s’approprier ce sujet environnemental ?
Le point clé pour entrer dans le sujet, c’est de commencer par demander à son entreprise quelle est sa politique générale en matière environnementale. Une fois cette politique générale explicitée par l’employeur, les élus du CSE pourront émettre un avis à la fois sur l’orientation (est-elle ou non cohérente par rapport aux enjeux et défis auxquels fait face l’entreprise ?) et sur sa mise en oeuvre concrète. Les élus ont tout intérêt à négocier un enrichissement de la BDESE
Le comité pourra utiliser les informations-consultations pour voir si les moyens déployés par l’entreprise sont à la hauteur de la politique affichée. Ensuite, au vu de la faiblesse des indicateurs environnementaux de ce décret, les élus ont tout intérêt à négocier un enrichissement de la BDESE en fonction de l’activité de l’entreprise, de son impact sur l’environnement, des controverses éventuelles auxquelles elle fait face…Ce décret offre-t-il selon vous matière à expertise pour le CSE ?
Nous formons en ce moment de nombreux CSE sur ces prérogatives environnementales, et j’observe une écoute attentive, même s’il n’y avait jusqu’à présent pas grand chose de concret à se mettre sous la dent. Maintenant, avec cette BDESE qui précise les éléments à intégrer, les CSE peuvent se tourner vers leur expert pour creuser les documents. La BDESE est un point d’appui sur lequel l’expert peut se baser pour aller plus loin, pour obtenir des documents complémentaires, vérifier si les chiffres se retrouvent dans les comptes, et que cela se recoupe avec la stratégie de l’entreprise ou la gestion des ressources humaines.