Lorsqu’il met en oeuvre un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), l’employeur doit prévoir des mesures limitant les conséquences sur la santé et la sécurité de ses salariés. Mais en cas de litige, qui est chargé de contrôler ces mesures d’évaluation et de prévention des risques ? La Direccte – sous le contrôle du juge administratif – ou le juge judiciaire ?
Le 14 novembre 2019, la Cour de cassation s’était penchée sur cette question. Elle avait validé la compétence du juge judiciaire pour connaître des conséquences d’un PSE (homologué par la Direccte) sur la santé et la sécurité des salariés. La Cour s’était alors fondée sur une appréciation stricte du code du travail, dont les articles L.1233-57-2 et L.1235-7-1 délimitent précisément le champ de compétence de la Direccte dans cette situation. Elle avait indiqué que l’administration ne peut pas procéder à d’autres contrôles que ceux prévus par la loi. Les questions qui échappent à son contrôle, relèvent donc de la compétence du juge judiciaire.
Le Tribunal des conflits confirme ce raisonnement dans une décision rendue le 8 juin 2020 (*).
Dans cette affaire, une société présente un projet de réorganisation impliquant un plan de sauvegarde de l’emploi. Ce PSE, adopté par accord collectif majoritaire, est validé par la Direccte. Entre-temps, le syndicat CGT de l’un des sites concernés par la réorganisation saisit le tribunal de grande instance afin de demander la suspension du projet. Il soutient qu’il existe un trouble manifestement illicite qui résulterait « de l’absence de mesures d’identification et de prévention des risques psychosociaux et de la souffrance au travail des salariés ». Le TGI donne raison au syndicat et ordonne à l’entreprise de suspendre le projet de réorganisation jusqu’à ce qu’il ait été procédé à une évaluation précise des risques psychosociaux supportés par les salariés non licenciés (en termes de charge de travail supplémentaire), et qu’ait été présenté un plan de prévention des risques les concernant.
Le préfet, qui considère que le juge judiciaire est incompétent dans un litige relatif à l’évaluation et à la prévention des risques dans le cadre de la procédure d’adoption d’un PSE, saisit le Tribunal des conflits.
Le Tribunal des conflits trace une ligne claire de partage des compétences. « Le contrôle de la régularité de la procédure d’information et de consultation des institutions représentatives du personnel ainsi que des mesures prévues par le plan de sauvegarde de l’emploi incombe à l’autorité administrative, lors de sa décision de validation ou d’homologation. » C’est la juridiction administrative qui doit vérifier que l’employeur respecte ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Dans cette affaire, le litige quant à l’insuffisance des mesures d’évaluation et de prévention des risques dans le cadre du PSE relève donc bien de la compétence administrative.
A l’inverse, lors de la phase de mise en oeuvre du PSE, le juge judiciaire reprend la main. « Le juge judiciaire est pour sa part compétent pour assurer le respect par l’employeur de son obligation de sécurité lorsque la situation à l’origine du litige, soit est sans rapport avec le projet de licenciement collectif et l’opération de réorganisation et de réduction des effectifs en cours, soit est liée à la mise en oeuvre de l’accord ou du document ou de l’opération de réorganisation », tranche le Tribunal des conflits.
Autrement dit, le juge administratif contrôle les mesures prévues dans le PSE au titre de la prévention et de l’évaluation des risques, le juge judiciaire examine leur mise en œuvre. Une solution qui rejoint celle adoptée par la Cour de cassation dans son arrêt du 14 novembre 2019.
La Cour de cassation comme le Tribunal des conflits se fondent sur la loi du 14 juin 2013 de sécurisation de l’emploi qui prévoit que le juge administratif est le juge principal de la contestation de la procédure du licenciement économique. Selon l’article L.1235-7-1 du code du travail issu de cette loi, les litiges relatifs à la validité de l’accord collectif définissant le contenu du PSE, à la conformité du document unilatéral, aux décisions prises par l’administration dans le cadre de son pouvoir d’injonction et à la régularité de la procédure de licenciement collectif ne peuvent faire l’objet d’un litige distinct de celui de la décision de validation ou d’homologation d’un PSE. Tous les litiges dans ces domaines relèvent de la compétence exclusive du juge administratif.
(*) Le tribunal des conflits est une juridiction composée à parité de membres du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation. Son rôle est de résoudre les conflits de compétence qui peuvent se poser entre les juridictions de l’ordre judiciaire et celles de l’ordre administratif.