Le juge, saisi d’une contestation sur la décision de la Direccte en matière d’établissements distincts, doit rechercher si les responsables des établissements concernés ont effectivement une autonomie de décision suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel, et si la reconnaissance d’établissements distincts à ce niveau est de nature à permettre l’exercice effectif des prérogatives du CSE.
La Cour de cassation continue de construire sa jurisprudence relative aux établissementsdistincts dans le cadre de la mise en place des CSE. Dans deux arrêts en date du 9 juin 2021, les juges précisent le rôle du tribunal judiciaire, saisi en cas de contestation de ladécision de l’administration en la matière. Rappelons que la Direccte (dorénavant la Dreets) est l’autorité administrative saisie en cas de contestation de la détermination des établissements distincts par décision unilatérale de l’employeur (C. trav., art. L. 2313-5).
Décisions unilatérales de l’employeur contestées
Dans les deux affaires, l’employeur a fixé par décision unilatérale les établissements distincts dans le cadre de la mise en place du CSE, décisions contestées par les syndicats,et annulées par la Direccte. Pour la première affaire (n° 19-23.153, lire l’arrêt ici), l’employeur opte pour un CSE unique, et suite à contestation, la Direccte fixe à 3 le nombre d’établissements distincts. En revanche, pour la seconde affaire (n° 19-23.745, lire l’arrêt ici), l’employeur dénombre 7 établissements distincts, mais l’autorité administrative tranche en faveur d’un CSE unique. Les deux décisions administratives sont contestées devant le tribunal judiciaire.
A cet égard, dans la première affaire (n° 19-23.153), la Cour de cassation rappelle, conformément à sa jurisprudence (Cass. soc., 19 déc. 2018, n° 18-23.655), qu’en application de l’article L. 2313-5, après examen par le tribunal judiciaire de l’ensemble des contestations concernant la décision administrative, aussi bien sur la légalité externe qu’interne :
- s’il les estime mal fondées : le juge judiciaire confirme la décision de la Direccte (Dreets);
- s’il les accueille partiellement ou totalement : le juge judiciaire doit statuer à nouveau, par une décision se se substituant à celle de l’autorité administrative, sur les questions demeurant en litige.
Preuve de l’autonomie de gestion et documents remis par l’entreprise et les OS
La Cour de cassation commence par rappeler que selon l’article L. 2313-4 « lorsqu’ils résultent d’une décision unilatérale de l’employeur, le nombre et le périmètre de sétablissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques sont fixés compte tenu de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel ».
Ainsi, « caractérise au sens de ce texte un établissement distinct l’établissement qui présente, notamment en raison de l’étendue des délégations de compétence dont disposeson responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service ».
Puis la Cour explique que l’autorité administrative comme le juge, lorsqu’ils sont saisis d’un recours dirigé contre la décision unilatérale de l’employeur, « se fondent, pour apprécier l’existence d’établissements distincts au regard du critère d’autonomie de gestion ainsi défini, sur les documents relatifs à l’organisation interne de l’entreprise que fournit l’employeur, et sur les documents remis par les organisations syndicales à l’appui de leur contestation de la décision unilatérale prise par ce dernier. »
► Remarque : la Cour de cassation rappelle en outre que « la centralisation de fonctions support ou l’existence de procédures de gestion définies au niveau du siège ne sont pas de nature à exclure en elles-mêmes l’autonomie de gestion des responsables d’établissement », conformément à sa jurisprudence (Cass. soc., 11 déc. 2019, n° 19-17.298, Cass. soc., 22 janv. 2020, n° 19-12.011).
Recherche d’une autonomie de décision suffisante
Dans la première affaire (n° 19-23.153), le tribunal d’instance avait débouté l’employeur de sa contestation contre la décision de la Direccte au motif qu’il est « manifeste que cette décision a été rendue après une étude sérieuse des éléments fournis par les parties, qu’elle est en outre motivée en droit, en ce qu’elle rappelle les critères essentiels pour les appliquerà la situation de fait et qu’en particulier l’autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service a bien été prise en compte dans l’analyse de la situation de l’entreprise » .
Mais il ne suffit pas de l’énoncer, il faut le vérifier concrètement. Ainsi, explique la Cour, « en se déterminant ainsi, sans rechercher, au regard des éléments produits tant par l’employeur que par les organisations syndicales, si les responsables des établissements concernés avaient effectivement une autonomie de décision suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service et si la reconnaissance à ceniveau d’établissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques était de nature à permettre l’exercice effectif des prérogatives de l’institution représentative du personnel, le tribunal n’a pas donné de base légale à sa décision. »
En d’autres termes, le tribunal judiciaire ne peut se contenter de constater que l’autorité administrative a procédé à une « étude sérieuse » des éléments fournis par les parties sans expliquer en quoi ces éléments sont constitutifs d’une réelle autonomie de décision suffisante, permettant l’exercice effectif des missions du CSE.
Des exemples ne sont pas des preuves suffisantes
Même sanction dans la seconde affaire (n° 19-23.745). Cette fois-ci, pour annuler la décision de la Direccte, le juge retient deux exemples de délégations de pouvoir donnant au directeur d’établissement « une autorité sur l’ensemble du personnel employé dans votre établissement. Vous assurez la gestion du personnel dans le cadre des procédures prévues par l’association », ainsi que la preuve de la mise en pratique de ces délégations par la production de la négociation d’une rupture conventionnelle par un directeur, la demande d’homologation d’une rupture conventionnelle par un autre, et une convocation à un entretien préalable de licenciement émise par un troisième.
Ces éléments ne suffisent pas à caractériser l’existence d’établissements distincts. A nouveau la Cour de cassation rend exactement la même décision, dans les mêmes termes. Aussi, le juge se doit de rechercher, au regard des éléments produits par l’employeur et les organisations syndicales, la réalité de l’autonomie de décision suffisante des directeurs ence qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service, permettant l’exercice effectif des prérogatives du CSE. Il apparaît dans ce cas que les quelques exemples de délégations issus de divers établissements sont insuffisants pour caractériser une réelle autonomie permettant l’exercice effectif des prérogatives du CSE.
Source : Actuel-CE