Dès lors que l’autorité administrative a été saisie pour fixer la répartition du personnel et des sièges dans les collèges électoraux, les mandats des élus en cours sont prorogés de plein droit jusqu’à la proclamation du scrutin. Cette règle s’applique même si la Dreets (direction régionale du travail) a refusé de trancher la question en raison de l’absence de tentative loyale de négociation du protocole d’arrêt préélectoral (PAP) par l’employeur.

La loyauté dans les négociations est au cœur de l’organisation des élections du CSE. Il y a quelques mois, dans un arrêt de principe, la Cour de cassation a précisé que ce n’est que lorsque, à l’issue d’une tentative loyale de négociation, un accord préélectoral n’a pu être conclu que l’autorité administrative peut décider de la répartition des sièges et du personnel entre les collèges électoraux (Cass. soc., 12 juill. 2022, n° 21-11.420, voir notre article).

Ainsi, l’administration saisie d’une demande de répartition dans le cadre préélectoral peut refuser de se prononcer, et si l’employeur n’a pas tenté de négocier loyalement, elle peut renvoyer les parties à la table des négociations. La décision du 8 novembre 2023 de la Cour de cassation renforce encore cette solution en confirmant la prorogation automatique des mandats jusqu’à la proclamation des résultats depuis la saisine de l’administration, même si celle-ci refuse de se prononcer sur la répartition du personnel et des sièges entre les collèges en raison de l’absence de tentative loyale de négociation du protocole préélectoral.

La Dreets saisie pour répartir les sièges et le personnel entre les collèges électoraux

Dans cette affaire, seules deux organisations syndicales sur les sept invitées par l’entreprise signent le protocole préélectoral. L’employeur saisit alors le Dreets afin qu’il fixe la répartition du personnel et des sièges entre les collèges électoraux. Cette demande est rejetée par décision du Dreets aux motifs essentiellement de l’absence de la part de l’employeur d’une tentative loyale de négociation d’un protocole d’accord préélectoral. L’employeur saisit alors le tribunal judiciaire aux fins d’annuler la décision de l’autorité administrative et de fixer la répartition des salariés et des sièges entre les collèges électoraux.

► Remarque : rappelons que l’article L. 2314-13 du code du travail prévoit que lorsqu’au moins une organisation syndicale a répondu à l’invitation à négocier de l’employeur et que l’accord préélectoral ne peut être obtenu, la Dreets décide de cette répartition entre les collèges électoraux. Cette saisine suspend alors le processus électoral jusqu’à la décision administrative et entraîne la prorogation des mandats des élus en cours jusqu’à la proclamation des résultats du scrutin. Enfin, la décision de l’autorité administrative peut faire l’objet d’un recours devant le juge judiciaire, à l’exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux. 

Le tribunal judiciaire constate notamment la prorogation des mandats des élus du CSE jusqu’à la proclamation des résultats du scrutin. Et c’est sur ce terrain que se place l’employeur pour contester le jugement du tribunal judiciaire. Pour lui, le mécanisme de prorogation des mandats ne peut être appliqué lorsque l’autorité administrative a refusé de trancher la question de la répartition des sièges et des personnels entre les collèges par l’administration. Dans ce cas, soutient-il , il faut un accord unanime de prorogation des mandats, les dispositions de l’article L. 2314-13 ne s’appliquant pas. 

► Remarque : en matière de prorogation des mandats hors cas prévus par le code du travail, la jurisprudence est très claire : seul un accord unanime passé entre le chef d’entreprise et les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise peut différer le terme des mandats des élus, les dispositions sur la durée des mandats étant d’ordre public (par exemple, Cass. soc., 12 juill. 2006, n° 05-60.331). 

Prorogation de plein droit des mandats jusqu’à la proclamation des résultats quelle que soit la décision de la Dreets

La Cour de cassation tranche en rappelant les dispositions de l’article L. 2314-13 du code du travail. Elle en déduit que « lorsque l’autorité administrative a été saisie pour fixer la répartition du personnel et des sièges dans les collèges électoraux, les mandats des élus en cours sont prorogés de plein droit jusqu’à la proclamation des résultats du scrutin ».

Elle constate ensuite simplement que dans cette affaire, la saisine de l’autorité administrative avait entraîné ladite prorogation. Il faut comprendre que, peu importe la décision prise par la Dreets (dans ce cas son refus de se prononcer), le processus électoral reste suspendu et les mandats prorogés par la seule saisine de l’autorité administrative. 

► Remarque :  cette décision renforce encore l’obligation de négociation loyale dans le cadre des élections professionnelles. Il y a quelques mois la Cour de cassation a précisé que ce n’est que lorsque, à l’issue d’une tentative loyale de négociation, un accord préélectoral n’a pu être conclu que l’autorité administrative peut décider de la répartition des sièges et du personnel entre les collèges électoraux (Cass. soc., 12 juill. 2022, n° 21-11.420, voir notre article).

Cette obligation s’applique aussi pour la négociation de l’accord relatif à la détermination des établissements distincts : lorsque l’administration est saisie d’un recours tendant à contester la décision unilatérale de l’employeur dans ce domaine, elle ne peut statuer que s’il y a eu préalablement une tentative loyale de négociation.

Ainsi, dans ce cas, la décision unilatérale de l’employeur doit être annulée, l’autorité administrative n’a pas à se prononcer sur le nombre et le périmètre des établissements distincts tant que des négociations n’ont pas été préalablement engagées, et il est fait injonction à l’employeur d’ouvrir ces négociations (Cass. soc., 17 avr. 2019, n° 18-22.948). Il en va de même en matière de vote électronique : l’employeur peut l’organiser par décision unilatérale, mais seulement après une négociation loyale (Cass. soc., 13 janv. 2021, n° 19-23.533).

D’autre part, concernant le protocole préélectoral, la jurisprudence détermine qu’à défaut de négociation loyale, celui-ci peut être annulé et les élections organisées sur son fondement également (Cass. soc., 9 oct. 2019, n° 19-10.780). Enfin, dans une note de la DGT (direction générale du travail) du 19 octobre 2023 que nous avons pu consulter, l’administration, concernant le recours à la Dreets en l’absence d’accord préélectoral pour répartir les sièges et le personnel entre les collèges, rappelle cette obligation de négociation loyale du PAP, et confirme que dans ce cas, la Dreets doit renvoyer les parties à la négociation. 

 

Séverine Baudouin