Selon l’article L. 2315-10 du code du travail, « les heures de délégation sont de plein droit considérées comme temps de travail ». Cela signifie que les représentants du personnel ne doivent subir aucune perte de salaire du fait de l’exercice de leurs fonctions. Il en résulte que les heures de délégation utilisées en dehors du temps de travail pour les nécessités du mandat doivent être payées en plus de la rémunération. Mais qu’en est-il lorsque le salarié est en dispense totale d’activité rémunérée ? Comment rémunérer les heures de délégation réalisées ? Sont-elles comprises dans la rémunération versée chaque mois au salarié, ou doivent-elles être rémunérées en supplément ? Ce sont les questions auxquelles répond la Cour de cassation dans cet arrêt du 3 mars.
Dans cette affaire, un salarié a adhéré au dispositif du congé de maintien dans l’emploi des salariés seniors dans l’entreprise. Il a bénéficié à ce titre d’une période de travail à temps partiel fin de carrière, puis d’une période de dispense totale d’activité rémunérée avant la liquidation d’une retraite à taux plein. Ce salarié était membre du CHSCT (aujourd’hui, on parlerait du CSE). Il soutient avoir utilisé des heures de délégation pour les besoins de son mandat, et en réclame le paiement, en sus de la rémunération qui lui était versée.
L’employeur n’est pas d’accord. Il estime qu’un représentant du personnel qui a convenu avec l’employeur d’être placé en situation de dispense d’activité rémunérée en raison de son adhésion à un plan de fin de carrière ne peut cumuler sa rémunération avec le paiement des heures de délégation susceptibles d’être utilisées pendant cette période d’inactivité. Ce n’est que s’il a été contraint de se rendre à des réunions à l’initiative de l’employeur ou s’il démontre des circonstances exceptionnelles qu’il peut en demande le paiement. En d’autres termes, outre le cas des réunions convoquées par l’employeur et des circonstances exceptionnelles, il considère que cela reviendrait à rémunérer le salarié deux fois.
La Cour de cassation ne valide pas le raisonnement de l’employeur. Elle rappelle le principe applicable : «L’utilisation des heures de délégation ne doit entraîner aucune perte de salaire pour le représentant du personnel, et lorsque les heures de délégation sont prises en dehors du temps de travail, en raison des nécessités du mandat, elles doivent être payées en plus des heures de travail ».
► Remarque : la Cour de cassation cite ici l’ancien article applicable, l’article L. 4614-6 du code du travail, abrogé par les ordonnances du 22 septembre 2017. Cet article a été remplacé par les articles L. 2315-10 et L. 2315-11 du code du travail.
Il existe toutefois une difficulté particulière pour le cas de la dispense d’activité totale rémunérée. Comment savoir si les heures de délégation ont été prises pendant ou en dehors du temps de travail puisqu’en dispense d’activité, par définition, le salarié ne travaille pas ?
Afin de répondre à cette difficulté pratique, la Cour de cassation utilise le concept du « planning théorique ». Pour savoir comment rémunérer ces heures, l’employeur doit se référer aux horaires que le salarié aurait dû suivre s’il avait travaillé. Si les heures de délégation ont été prises en dehors du temps de travail résultant de son « planning théorique », le représentant du personnel peut prétendre au paiement de ces heures en plus de sa rémunération. Or, puisque l’employeur n’avait pas défini les horaires théoriques du salarié placé en situation de dispense d’activité rémunérée, ce dernier pouvait demander le paiement de ses heures de délégation.
► Remarque : la jurisprudence considère en principe que les heures de délégation prises en dehors de l’horaire de travail en raison des nécessités du mandat doivent être rémunérées en heures supplémentaires (Cass. soc., 25 juin 2008, n° 06-46.223 ; Cass. soc., 30 mai 2007, n° 04-45.774). Mais dans cet arrêt, la Cour de cassation ne mentionne pas les heures supplémentaires. Elle indique simplement que les heures de délégation en question « doivent être payées en plus des heures de travail ».
Notons qu’en jugeant de la sorte, la Cour de cassation pose implicitement le principe selon lequel la période de dispense totale d’activité rémunérée dans le cadre d’un dispositif de maintien dans l’emploi des salariés seniors n’entraîne pas la suspension du mandat. Mais cette position est tout à fait logique, puisque d’une manière générale, la jurisprudence considère que la suspension du contrat de travail ne suspend pas le mandat. C’était déjà le cas pour les congés payés (Cass. soc., 19 oct. 1994, n° 91-41.097), le chômage partiel (Cass. soc., 10 janv. 1989, n° 86-40.350) ou encore la maladie (Cass. ch. Mixte, 21 mars 2014, n° 12-20.002).
Source : Actuel-CE