L’ESSENTIEL
Le président du tribunal judiciaire peut ordonner la production d’informations complémentaires et, en conséquence, prolonger ou fixer le délai de consultation du comité d’entreprise (devenu CSE) à compter de leur communication. Il suffit que le juge ait été saisi avant l’expiration des délais dont dispose le CE pour rendre son avis et qu’il retienne souverainement que les informations nécessaires, et demandées par ce dernier, s’avèrent insuffisantes au regard de l’importance du projet.
EXTRAITS
Cass. soc., 26 févr. 2020, no 18-22759, SA EDF, FS-PBRI
Faits et procédure
- Selon l’arrêt attaqué (Paris, 7 septembre 2018), la société Electricité de France (société EDF] a, le 2 mai 2016, convoqué le comité central d’entreprise (le CCE) dans le cadre d’une procédure d’information consultation sur un projet de création de deux EPR (european pressurized reactor) au Royaume-Uni. Lors de la réunion du 9 mai 2016, le CCE a désigné deux experts pour examiner le projet, et réclamé plusieurs documents d’information complémentaires.
- Par requête du 20 juin 2016, le CCE a sollicité l’autorisation d’assigner la société EDF devant le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés, pour demander la suspension des délais de consultation jusqu’à communication par l’employeur d’un certain nombre de documents complémentaires. Une autorisation d’assigner a été délivrée pour le 22 septembre 2016. Par ordonnance du 27 octobre 2016, le président du tribunal de grande instance a déclaré irrecevables les demandes du CCE, au motif que le délai de consultation était, au jour où il statuait, d’ores et déjà expiré.
- La cour d’appel a infirmé cette décision, dit les demandes recevables, ordonné à la société EDF de remettre au CCE un document d’information complémentaire et enjoint à la société de procéder à une nouvelle convocation du CCE dans un délai de 2 mois.
Examen du moyen
Énoncé du moyen
- La société EDF reproche à l’arrêt de rejeter les moyens d’irrecevabilité soulevés par elle, de lui ordonner de transmettre au comité central d’entreprise le rapport de M. X dans son intégralité, de dire que ce rapport doit être communiqué au CCE par la société EDF dans le délai d’1 mois à compter de la signification de la décision par le CCE-EDF sous astreinte de 1 000 € par jour de retard constaté après l’expiration de ce délai, de lui avoir enjoint de procéder à une nouvelle convocation du comité central d’entreprise en vue d’une réunion extraordinaire aux fins de consultation sur le projet Hikley Point C dans le délai de 2 mois à compter de la signification de la décision sous la même astreinte […]
Réponse de la Cour
- Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, la procédure d’information-consultation des institutions représentatives du personnel est encadrée par des délais qui peuvent être fixés par accord. À défaut d’accord, et lorsque la loi ne fixe pas de délais spécifiques, les délais de consultation du comité d’entreprise sont fixés par l’article R. 2323-1-1 du Code du travail dans sa rédaction applicable en la cause à 1 mois, délai porté à 2 mois en cas d’intervention d’un expert et à 3 mois en cas de consultation du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. A l’expiration de ce délai, le comité d’entreprise est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif.
- L’article R. 2323-1 du Code du travail, dans sa rédaction applicable en la cause, précise que le délai court à compter de la communication par l’employeur des informations prévues par le Code du travail pour la consultation ou de l’information par l’employeur de leur mise à disposition dans la base de données dans les conditions prévues aux articles R. 2323-1-5 et suivants. Ces informations doivent, selon l’article L. 2323-4 du Code du travail, dans sa rédaction applicable en la cause, être précises et écrites, pour permettre au comité d’entreprise de formuler un avis motivé. À défaut, selon les mêmes textes, les membres élus du comité peuvent, s’ils estiment ne pas disposer d’éléments suffisants, saisir le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés, pour qu’il ordonne la communication par l’employeur des éléments manquants. Le juge statue dans un délai de 8 jours. Cette saisine n’a pas pour effet de prolonger le délai dont dispose le comité pour rendre son avis.
Toutefois, en cas de difficultés particulières d’accès aux informations nécessaires à la formulation de l’avis motivé du comité d’entreprise, le juge peut décider la prolongation du délai prévu à l’article L. 2323-3.
- La Cour de cassation a jugé (Cass. soc., 21 sept. 2016, n° 15-19003 : Bull. civ. V, n° 176) « que le délai à l’expiration duquel le comité d’entreprise est réputé avoir donné un avis court à compter de la date à laquelle il a reçu une information le mettant en mesure d’apprécier l’importance de l’opération envisagée et de saisir le président du tribunal de grande instance s’il estime que l’information communiquée est insuffisante. »
- La Cour de cassation a également jugé (Cass. soc., 28 mars 2018, n° 1 7-13081 :Bull civ. V, n° 49] « que dans l’exercice de ses attributions consultatives, le comité d’entreprise émet des avis et vœux, et dispose pour ce faire d’un délai d’examen suffisant fixé par accord ou, à défaut, par la loi ; que lorsque les éléments d’information fournis par l’employeur ne sont pas suffisants, les membres élus du comité peuvent saisir le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés pour qu’il ordonne la communication par l’employeur des éléments manquants ; que cependant lorsque la loi ou l’accord collectif prévoit la communication ou la mise à disposition de certains documents, le délai de consultation ne court qu’à compter de cette communication ; que tel est le cas, dans le cadre de la consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise, de la base de données prévue à l’article L. 2323-7-2 du Code du travail, alors applicable, qui est, aux termes de l’article L. 2323-7-1 du même code alors applicable, le support de préparation de cette consultation. »
- Par ailleurs, aux termes de l’article 4 § 3 de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, l’information s’effectue à un moment, d’une façon et avec un contenu approprié, susceptibles notamment de permettre aux représentants des travailleurs de procéder à un examen adéquat et de préparer, le cas échéant, la consultation.
- Aux termes de l’article 8 § 1 et § 2 de cette même directive, les États membres prévoient des mesures appropriées en cas de non-respect de la présente directive par l’employeur ou les représentants des travailleurs. En particulier, ils veillent à ce qu’il existe des procédures administratives ou judiciaires appropriées pour faire respecter les obligations découlant de la présente directive. Les États membres prévoient des sanctions adéquates applicables en cas de violation des dispositions de la présente directive par l’employeur ou les représentants des travailleurs. Ces sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.
- Il en résulte qu’en application de l’article L. 2323-4 du Code du travail alors applicable, interprété conformément aux articles 4 § 3 et 8 § 1 et § 2 de la directive 2002/14/CE, la saisine du président du tribunal de grande instance avant l’expiration des délais dont dispose le comité d’entreprise pour rendre son avis permet au juge, des lors que celui-ci retient que les informations nécessaires à l’institution représentative du personnel et demandées par cette dernière pour formuler un avis motivé n’ont pas été transmises ou mises à disposition par l’employeur, d’ordonner la production des éléments d’information complémentaires et, en conséquence, de prolonger ou de fixer le délai de consultation tel que prévu par l’article R. 2323-1-1 du Code du travail à compter de la communication de ces éléments complémentaires.
- En l’espèce, le comité central d’entreprise, dont le délai de consultation expirait le 2 juillet 2016, a saisi le président du tribunal de grande instance le 20 juin 2016. La cour d’appel a souverainement constaté que les documents fournis par l’employeur à l’appui de la consultation étaient, au regard de
L’importance du projet, de l’existence de risques opérationnels et financiers certains, et de l’impact sur le nombre d’emplois en France et à l’international, insuffisants en ce que seule une synthèse du rapport confié par la société EDF à un groupe d’experts de six personnes avait été remis au comité central d’entreprise et que cette synthèse laissait subsister des zones d’ombre et des angles morts que la production de l’entier rapport, réclamé vainement par le CCE, pouvait permettre de dissiper.
- C’est dès lors à bon droit, et peu important que l’employeur ait commencé à mettre en œuvre le projet, que la cour d’appel, après avoir ordonné à l’employeur la communication de documents complémentaires, a fixé un nouveau délai de consultation de 2 mois au comité central d’entreprise pour émettre son avis.
Par ces motifs : rejette le pourvoi ; […]
NOTE
Le juge judiciaire peut-il ordonner une nouvelle convocation de l’institution représentative du personnel lorsqu’il estime que les informations transmises par l’employeur sont insuffisantes ? Cet arrêt important1 répond positivement à la question posée. Pour ce faire, la Cour de cassation réécrit la loi qui permettait, jusqu’à présent, de considérer le contraire. En effet, la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 a réorganisé le processus de consultation du comité d’entreprise (devenu CSE) et aménagé la communication des informations pertinentes, y compris par la voie judiciaire. Pour ce faire, elle a enchevêtré les délais pour agir avec les délais de consultation du comité (C. trav., art. L. 2323-4 anc. ; C. trav., art. L. 2312-15 nouv.). Les membres élus du comité peuvent saisir le président du TGI (aujourd’hui, le président du tribunal judiciaire) pour qu’il statue en la forme des référés (aujourd’hui, selon la procédure accélérée au fond (Ord. n° 2019-738, 17 juill. 2019, art. 15]) dans un très bref délai (8 jours selon la rédaction alors applicable)2. Le but de l’action est d’obtenir une injonction de produire les documents pertinents, donc ceux jugés manquants lors de la communication initiale. Ce traitement accéléré vise à sécuriser, selon les vœux du législateur, la procédure d’information-consultation du comité. Si celui-ci doit disposer d’un « délai d’examen suffisant » (C. trav., art. L. 2323-3 anc. ; C. trav., art. L. 2312-15 nouv.), le législateur a pris soin de préciser ces délais lorsque les partenaires sociaux ne les ont pas expressément aménagés, comme la loi leur permet pourtant de le faire. Ces délais supplétifs sont décisifs car l’avis du comité d’entreprise est réputé négatif à leur expiration (C. trav., art. R. 2323-1-1 ; C. trav., art. R. 2312-6 nouv.) ; l’employeur est donc considéré avoir régulièrement consulté l’institution représentative. Le dispositif vise ainsi, au profit de l’employeur, à parer les stratégies éventuelles de ralentissement de la consultation par les élus du personnel eux-mêmes (c’est un présupposé). Le (délai de consultation est en principe de 1 mois ou de 2 mois en cas d’intervention d’un expert. Ces délais peuvent encore être augmentés lorsque la consultation, conduisant à une expertise, implique le niveau central et le niveau des établissements3. Il est essentiel de relever que la loi souligne que la saisine du juge n’a pas pour effet de prolonger ces délais. Les délais d’action entremêlés aux délais de consultation sont ainsi des délais impératifs, qualifiés de préfix par certains ou encore de « délais couperet ».4 Les demandeurs à l’action ont donc l’impérieux devoir d’agir vite s’ils souhaitent obtenir une production forcée complémentaire. Cependant, ces délais ne courent pas en l’absence de transmission de documents jugés obligatoires5 ou en l’absence d’accès à la BDES6. Mais surtout, le juge peut, en cas de difficulté particulière d’accès aux informations demandées, prolonger le délai applicable. Le système ainsi imaginé par le législateur n’a de sens qu’à la condition que le juge statue dans les délais utiles à la consultation du comité. Cela devrait induire deux conséquences logiques. D’abord, la saisine doit être effectuée au cours du délai de consultation pour être recevable7. Ensuite, si la décision judiciaire devait être tardive, il peut être soutenu que l’action n’a plus d’objet puisque l’avis du comité réputé négatif est acquis. C’est précisément ce qu’avait décidé le premier juge, pourtant saisi avant le délai de 2 mois applicable en l’espèce (le comité avait requis un expert) mais le juge avait mis 5 mois pour statuer. Il avait finalement conclu à l’irrecevabilité de la demande au motif que les délais de consultation étaient, au jour où il statuait, d’ores et déjà expirés. Quoi que l’on pense du dispositif législatif, et du caractère insatisfaisant de la solution judiciaire, celle-ci respectait la lettre et l’esprit de la loi ; elle mettait aussi le doigt sur la faiblesse de la réactivité des membres élus conjuguée aux lenteurs judiciaires. Mais le système se révèle hypocrite : l’instance représentative doit agir immédiatement si elle veut pouvoir jouir d’une prolongation des délais alors qu’il est communément admis que le traitement judiciaire sous huitaine est une illusion permettant de masquer le déni de justices8. Celle-ci avait néanmoins permis au Conseil constitutionnel9, selon une approche très « formelle »10, de considérer que la procédure mise en place offrait des garanties suffisantes11. Bref, le législateur a imaginé une procédure impossible à assumer pour l’institution judiciaire et réductrice du droit à l’information-consultation. On relèvera, au passage, que l’obligation de statuer sous 8 jours a disparu dans la dernière version du texte litigieux, ce qui modifie (en théorie) le centre de gravité du dispositif tout en confortant le sens de la décision rapportée.
Cela étant posé, la Cour de cassation va ici approuver la cour d’appel d’avoir infirmé la décision de première instance pour ordonner à l’employeur (EDF) de remettre au comité central d’entreprise (CCE) un document d’information complémentaire. Mais surtout, elle approuve qu’il fût enjoint à la société de procéder à une « nouvelle » convocation du comité, en fixant un nouveau délai de 2 mois. Sur le fond, le CCE discutait le fait que l’employeur n’avait pas remis l’intégralité d’un rapport technique substantiel mais une synthèse dudit rapport, confié à un groupe d’experts, et qui participait d’un document préparatoire au projet de création de deux EPR au Royaume-Uni. Inutile d’insister sur l’importance du projet, de ses risques opérationnels, financiers et sur l’incidence globale en termes d’emploi. L’employeur avait pourtant satisfait à l’obligation formelle de transmettre des informations « précises » et « écrites » (C. trav., art. L. 2323-4 anc. ; C. trav., art. L. 2315-15 nouv.). Mais, au titre de cette consultation ponctuelle, le CCE en voulait plus. Il voulait quelque chose se rapprochant de l’intégralité du rapport (et non sa synthèse, aussi bien faite fût-elle). Le juge a donc dû apprécier le caractère insuffisant de la communication initiale pour en ordonner le complément mais aussi un nouveau délai de consultation. Cette solution permet de retenir quatre enseignements majeurs de l’arrêt rapporté.
1.La Cour de cassation souligne l’exercice du pouvoir d’appréciation souverain des juges lorsqu’il s’agit de retenir le caractère insuffisant de l’information initialement transmise. Cette pesée se fait en tenant compte de l’importance du projet et de la nature des risques encourus (opérationnels et financiers) et de l’impact sur l’emploi (en France comme à l’international). Elle confie donc une méthode sans imposer la production d’une information-type comme elle l’a fait récemment en matière de fusion (production d’informations relatives aux entreprises parties à l’opération de fusion)12. Il est certain que le projet de construction de deux EPR demeure suffisamment exceptionnel pour que l’exigence puisse s’avérer élevée pour les juges du fond, au point de justifier une précaution sociale maximale. L’employeur arguait cependant du fait qu’il n’était pas tenu de transmettre le texte intégral car il avait adressé une synthèse complète, intégrée au dossier d’information remis au CCE. Et en effet, la loi n’impose pas de transmettre l’intégralité des documents détenus par l’employeur. C’est pourquoi, la Cour de cassation laisse une grande latitude au juge chargé d`apprécier les éléments manquants pour que le comité puisse exercer utilement sa compétence. Il ne s’agit pas de consacrer le droit à la communication intégrale de tous les documents détenus par l’employeur mais de laisser la marge d’appréciation pertinente aux juges pour ordonner, si nécessaire, la production de la documentation utile.
- La haute juridiction convoque ensuite le droit de l’Union européenne pour pousser très loin l’interprétation du droit interne. Sont cités les articles 4, § 313, 8, § 1 14, et 8, § 215, de la directive (CE) n° 2002/14 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne16. Ces textes lui permettent d’insister sur le caractère approprié et adéquat de l’information transmise (loyauté et transparence) mais aussi sur la nécessité d’organiser des procédures administratives ou judiciaires «appropriées» pour faire respecter les obligations découlant de la directive. Le poids de cette source du droit, pourtant simple directive (et non règlement), va conduire la Cour de cassation à réécrire le dispositif législatif et réglementaire. La démarche est assez extraordinaire. Il s’agit de faire un procès au législateur par la voie de l’interprétation constructiviste du droit de l’Union européenne, pour augmenter les pouvoirs du juge en la matière. L’interprétation conforme délivre, en creux, une prérogative judiciaire que le législateur n’avait pas consentie.
- En effet, la loi admet par exception que le juge puisse seulement « prolonger » le délai dont dispose le comité en cas de difficulté particulière d’accès aux informations nécessaires17. Ce point n’est pas discutable. Mais le principe reste celui d’une saisine qui ne prolonge pas, à elle seule, ledit délai (ici de 2 mois). Or, ce qui autorise la Cour de cassation relève d’une autre nature : elle permet aussi au juge, après avoir ordonné la production d’informations complémentaires, « de fixer le délai de consultation » à compter de la communication de ces éléments. Elle lui offre ainsi une alternative lorsque la prolongation du délai s’avère impossible faute d’une décision rendue à temps. C’est donc une nouvelle consultation et un nouveau délai de consultation que le juge peut prononcer, ce que la loi n’envisage pas. La Cour de cassation l’avait clairement reconnu en 2016 (aucune disposition législative n’autorise le juge à accorder un nouveau délai)18. Sous couvert de la directive de 2002, elle procède donc à un revirement 19. La haute juridiction réécrit la loi pour augmenter les pouvoirs du juge judiciaire. On passe ainsi d’un excès imposé par le législateur (brefs délais et obligation de statuer sous huitaine avant l’expiration du délai de consultation) 20 à la possibilité pour le juge de faire partir un nouveau délai, peu important la date à laquelle la décision exécutoire est rendue. En l’espèce, la convocation du CCE a eu lieu le 2 mai 2016, le premier juge s’est prononcé le 27 octobre 2016 et la cour d’appel a rendu son arrêt le 7 septembre 2018. Pas besoin d’un savant calcul pour comprendre que le délai de 8 jours s’est avéré chimérique. Et finalement, un nouveau délai de consultation a démarré… 2 ans et 4 mois après la première consultation.
- L’employeur arguait pourtant que, depuis, le projet n’en était plus un. L’entreprise était entrée en phase d’exécution avancée depuis l’avis initial du CCE réputé négatif. La décision d’investir avait été prise par le conseil d’administration, d’ailleurs non remise en cause par le tribunal de commerce. Les travaux étaient bien engagés (mobilisant 2 839 salariés), ce dont il devait se déduire que la phase d’exécution du projet rendait la demande du CCE désormais sans objet. Il était donc contesté que la cour d’appel ait pu retenir que seule une « exécution définitive du projet » (sic) pouvait être susceptible de s’opposer à l’examen du litige. Selon la Cour de cassation, I’ argument patronal se révèle inopérant. Naturellement, elle ne s’appesantit par sur les effets procéduraux de l’avis initial du CCE (réputé négatif mais acquis en application de la loi) 21. Peu importe donc que l’employeur ait exécuté le projet, il revenait bien à la cour d’appel de fixer un nouveau délai de consultation de 2 mois, à compter de la communication des documents complémentaires ainsi ordonnée.
En conclusion, on relèvera que l’arrêt passe sous silence les effets de l’avis négatif réputé acquis. Il n’indique nullement qu’il est annulé ou devenu caduc. Ce serait aller trop loin dans l’interprétation de l’arrêt. On peut cependant en déduire que la Cour de cassation permet qu’une nouvelle consultation succède à la première… puisque la loi ne l’interdit pas textuellement faute de l’avoir organisée. La consultation judiciairement ordonnée consacre le bis in idem lorsque l’information est tardivement jugée insuffisante. Quant à l’esprit de la loi, l’invocation du droit européen permet de sien accommoder.
1 V. sous cet arrêt, le commentaire de Morvan R in JCP S 2020, n° 1074.
2 Ce délai de 8 jours a été supprimé par l’article 15 de l’ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019. L’article L. 2312-15 du Code du travail n’y fait donc plus référence.
3 L’ancien article R. 2323-1-1 du Code du travail précisait que le délai était porté à 3 mois en cas de saisine d’un ou plusieurs CHSCT. Il passait à 4 mois en cas de mise en place d’une instance de coordination des CHSCT. Du fait de la disparition des CHSCT, l’article R. 2312-6 du Code du travail a simplifié les modalités de la consultation : il prévoit un délai de 3 mois en cas d’intervention d’une ou plusieurs expertises dans le cadre de la consultation se déroulant à la fois au niveau du CSE central et d’un ou plusieurs CSE d’établissement.
4 Morvan P., note sous Cass. soc., 26 févr. 2020, n° 18-22759, PS-PBRI, ICP S 2020,n° 1074.
5 Cass. soc., 27 nov. 2019, n° 18-22532 : BIS févr. 2020, n° 120m3, p. 9, note Auzero G.
6 Cass. soc., 28 mars 2018, n° 17-13081 : BIS juin 2018, n° 118q9, p. 327, note Bugada A.
7 Cass. soc., 21 sept. 2016, n° 15-19003 : Bull. civ. V, n° 176 ; BIS nov. 2016, n° 115s2, p. 637, note Auzero G. – Cass. soc., 15 nov. 2017, n° 15-26338 : Bull. civ. V, n° 197 ; BIS janv. 2018, n° 117e4, p. 29, note Auzero G.
8 Cette illusion interroge naturellement le droit au juge (CEDH, art. 6, § 1) mais plus largement, sans doute, l’inadéquation de la judiciarisation des litiges collectifs de ce type. La voie utile serait, sans doute, de décharger le président du tribunal judiciaire pour organiser un règlement différencié des litiges collectifs de ce genre. Mais c’est là un vaste débat qui nécessite de repenser la place du judiciaire dans le règlement des différends collectifs en France.
9 Cons. const., 4 août 2017, n° 2017-652 QPC : BIS nov. 2017, n° 11622, p. 665, note Auzero G.10 Selon l’expression de G. Auzero, note sous Cons. const., 4 août 2017, n° 2017-652 QPC, BIS nov. 2017, n° 11622, p. 665.
10 Selon l’expression de G. Auzero, note sous Cons. const., 4 août 2017, n° 2017-652 QPC, BIS nov. 2017, n° 11622, p. 665.
11 Cons. n° 11 ; « l’éventualité, à l’occasion de certaines procédures, du non-respect des délais prévus par la loi pour des motifs tenant aux conditions de fonctionnement des juridictions ne saurait suffire à entacher celle-ci d’inconstitutionnalité ».
12 Cass. soc., 27 nov. 2019, n° 18-22532 : BIS févr. 2020, no 120m3, p. 9. note Auzero G.
13 L’information s’effectue à un moment, d’une façon et avec un contenu approprié, susceptibles notamment de permettre aux représentants des travailleurs de procéder à un examen adéquat et de préparer le cas échéant, la consultation.
14 Les États membres prévoient des mesures appropriées en cas de non-respect de la présente directive par l’employeur ou les représentants des travailleurs.
En particulier, ils veillent à ce qu’il existe des procédures administratives ou judiciaires appropriées pour faire respecter les obligations découlant de la présente directive.
15 Les Etats membres prévoient des sanctions adéquates applicables en cas de violation des dispositions de la présente directive par l’employeur ou les représentants des travailleurs. Ces sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.
16 IOCE L 80, 23 mars 2002, p. 29.
17 Cass. soc., 30 janv. 2019, no 17-23025.
18 Cass. soc., 21 sept. 2016, n° 15-19003 : Bull. civ. V, n° 176 ; BIS nov. 2016, n° 115s2, p. 637, note Auzero G. : « Attendu que la cour d’appel a exactement décidé que si, en cas de difficulté particulières d’accès aux informations nécessaires à la formulation de l’avis motivé du comité d’entreprise, le juge peut décider la prolongation du délai prévu à l`article L. 2323-3 du Code du travail, aucune disposition législative ne l’autorise à accorder un nouveau délai après l’expiration du délai initial »
19 V., en ce sens, Morvan P, note sous Cass. soc., 26 févr. 2020, n° 18-22759, FS-PBRI, ICP S 2020, n° 1074.
20 Cette exigence a été supprimée en 2019, ce qui altère l’équilibre du dispositif imaginé par le législateur qui ne tenait que si le juge statuait en extrême urgence. Ce qui constituait d’ailleurs une ambition législative totalement déconnectée des moyens alloués à la justice.
21 La première consultation étant réputée acquise, l’employeur ne devrait pas pouvoir être poursuivi pour entrave au fonctionnement de l’institution représentative du personnel.
La Cour de cassation respecte ainsi les effets du premier délai de consultation (saisine du juge avant l’expiration du délai) mais elle autorise le juge judiciaire à en ouvrir un second. C’est donc qu’en cas de litige sur le caractère insuffisant de l’information transmise au comité, si le juge a été saisi dans les délais requis, il peut ordonner une seconde consultation, plusieurs mois voire plusieurs années plus tard en cas d’appel. Le message est clair : la Cour de cassation s’emploie à réécrire la loi de 2013, pourtant validée par le Conseil constitutionnel, quitte à s’abriter derrière le droit de l’Union européenne pour augmenter les pouvoirs judiciaires non expressément consacrés par le législateur. La solution est aussi substantielle que processuelle. Elle génère cependant un certain malaise.
En droit, en effet, la démarche interpelle la séparation des pouvoirs lorsque le juge se permet beaucoup en présence d’une loi et d’un système globalement déficients sans être certain que le remède soit adapté. La seconde consultation sera nécessairement décalée dans le temps et ne résout pas les effets de la première consultation, réputée acquise. En opportunité, en revanche, au regard de la nature des risques qui gravitent autour des grands chantiers nucléaires du millénaire, le souci de transparence à l’égard de la représentation du personnel paraît socialement appréciable. Il s’agit donc de positionner le droit applicable aux confins des choix d’opportunité. Des deux maux, lequel est le moindre ? La Cour de cassation a fait son choix au profit de l’effectivité du droit de participation en étendant les pouvoirs du président du tribunal judiciaire statuant, désormais, selon la procédure accélérée au fond. Naturellement, le droit constitutionnel n’est pas convoqué puisqu’il fut préempté parle Conseil constitutionnel en 2017. Ainsi la Cour de cassation est respectueuse de l’autorité de la chose décidée par celui-ci (Constitution, art. 62). En apparence, du moins.